Marie-Pierre Dequier
co-founder
CollectivZ
Histoire et leçons du passage d’une dirigeante au sein d’un grand groupe au métier d’indépendant.
Marie-Pierre, quel est ton parcours ?
– Après l’école des Ponts, Sciences-Po et 5 ans dans le conseil et une société pionnière dans le digital, j’ai fait un parcours de dirigeante dans une banque, jusqu’à un poste rattaché au Comex. A 43 ans, je ne m’y retrouvais plus. Je ne me rêvais plus nulle part dans cette entreprise. J’ai eu besoin de réfléchir. J’ai d’abord fait un coaching, parce que personne ne m’avait vue à la RH, et pris du temps pour moi.
– J’ai réfléchi à ce qui m’avait le plus amusée : mes expériences de pionnière internet, pluridisciplinaires (relations avec des graphistes, des informaticiens, des consultants etc), j’avais aimé cette énergie collaborative, au service des clients, que je ne retrouvais pas dans la banque. J’aimais le développement de projets. Mon entreprise ne me correspondait plus. Sa croissance était stoppée, l’innovation systématiquement bloquée par des intérêts court terme, il manquait un nouveau souffle, le contrat social était négligé. Le Comex n’a pas compris la nécessité de le réinventer. J’ai cherché un job internet en interne pour me remettre le pied à l’étrier sur le digital avant de partir, mais je n’ai rien trouvé.
Passer du statut de dirigeant dans un grand groupe à consultant indépendant ou manager de situation : « la nouvelle liberté »
– Ça n’a pas de sens de chercher un CDI après 50 ans.
Je les ai vus autour de moi en outplacement. Ces gens brillants, aux parcours superbes, qui mettent un an à trouver du travail. Ils sont souvent trop chers, donc l’employeur attend beaucoup. Ils n’ont pas droit à l’erreur. C’est compliqué de recommencer dans une nouvelle culture, de refaire son réseau. Je revoyais ces mêmes personnes, qui avaient accepté un cut de salaire de 30%, virées au bout de deux ou trois ans, et qui recommençaient le même cycle… Tu as beau être X, brillant, tu peux te retrouver au chômage.
– J’ai aussi vu témoigner des chasseurs de tête expliquant qu’on est à notre climax sur le marché à 45 ans, en poste et qu’ensuite ça décroit. Les recruteurs ne veulent pas prendre de risques, pour s’assurer de la motivation d’un candidat, ils veulent une démission. Si vous êtes au chômage, vous n’êtes pas prioritaire…
– Il est intéressant de faire une carrière dans un groupe dans lequel on a ses réseaux, ses copains, même si l’on ne monte pas toujours dans la hiérarchie, il y a des emplois passionnants partout. Une fois sorti, il vaut mieux investir sur soi que sur une nouvelle entreprise qui vous trouvera rapidement trop cher. C’est une très bonne solution d’être indépendant. Avec de l’expérience, tout le monde est armé !
Les avantages d’être indépendant ?
- Le développement personnel: je choisis les sujets sur lesquels j’investis, et me forme comme bon me semble, c’est mon capital personnel et relationnel que je développe.
- La liberté: oui, il y a parfois des missions en province, mais les enfants sont souvent déjà grands, c’est très gérable. C’est aussi la liberté de choisir les personnes avec lesquelles on travaille, la liberté de choisir ses missions. Je peux conduire mes missions, enseigner à CentraleSupelec, à Sciences Po. Je choisis mon temps, mes activités, mes vacances.
«Cela fait 7 ans que je suis indépendante. J’ai échangé un salaire contre une liberté, je gagne ma vie, je m’amuse. Je me rémunère cher sur 50% de mon temps, et j’utilise les autres 50% sur des sujets qui me passionnent. »
- Des challenges: il faut prendre les missions comme des challenges, elles offrent plus de marges d’action que dans une carrière classique, plus de liberté.
- La puissance de frappe : je travaille avec une grande diversité de personnes et de cultures car je m’appuie sur différents écosystèmes qui m’apportent des affaires ou que je staffe lorsque j’en ai. Je n’ai surtout aucun salarié ni associé sur ma structure principale, sauf sur des projets que l’on construit ensemble. Avec ce fonctionnement, j’ai une puissance de frappe importante, déployable très vite sans la contrainte de la gestion de salariés.
Les contraintes ?
- Pas de salaire garanti : bien sûr que l’on est inquiet au début. Il faut avoir un an de trésorerie devant soi. On se paye moins qu’en CDI, et on paye moins d’impôts…
- Pas d’assistante
- Pas de bureau au début… pas de déplacements non plus J
Conseils :
- Monter sa structure personnelle rapidement pour avoir un moyen de facturation, même si vous ne l’utilisez pas tout le temps, cela vous évite de passer par une société de portage salarial qui vous prendra parfois jusqu’à 20% de votre rémunération
- Réseauter: il faut aller dans tous les meet-up qui existent, assister à toutes les conférences qui vous intéressent, sortir, rencontrer du monde mais sans chercher du boulot ! Testez vos idées.
- Avoir un discours: dans les rencontres, dire ce que l’on fait, pourquoi on le fait, et l’incarner par ses actes.
- Bâtir son branding: c’est l’ère du Inbound marketing ! Pour que l’on vienne à vous, il faut publier, écrire dans plein de supports, partager ne suffit pas. On veut savoir ce que vous pensez, ce que vous avez à dire. Montrer qu’on maîtrise les outils construit notre e-réputation.
- Rassurer les clients par un ancrage institutionnel: enseigner à CentraleSupelec crédibilise ma démarche (note de KINT : c’est ce que Jean-Michel Moslonka appelle, la « location de brand equity ».). Je suis quelqu’un de sérieux, pas un électron libre. Faire partie de réseaux crédibilise également.
- Avoir un an de trésorerie devant soi. Parce que c’est le temps qu’il faut entre la première proposition et le premier règlement client.
- Acheter de l’expérience : c’est pour cela qu’il faut de la trésorerie, pour tester son offre, puis démontrer que l’on sait faire et acheter des références. Pour cela, il ne faut pas hésiter à faire des missions gratuites au début et être ouvert aux retours clients.
- Développer sa débrouillardise : c’est fini les deux assistantes, les centaines de personnes à gérer, travaillons en réseaux avec des contrats d’apport d’affaires, et appuyons nous sur nos enfants et les jeunes qui ont beaucoup à nous apprendre.
- Changer sa posture managériale et faire preuve d’humilité : Réussir une mission ? Il faut que les gens vous aiment…et que vous les enrichissiez. Le top down, c’est fini! Avec les jeunes « la note pour ce soir » c’est terminé. Il faut passer du Command & Control au Trust & Share et faire preuve d’humilité. En indépendant comme dans une mission de management de transition : c’est comme ça que vous vous différencierez.
- Apprendre (ou réapprendre) à apprendre: il faut passer du temps sur la tech, le digital. Presque 20% de son temps. Il faut se mettre à jour, pratiquer le digital, être sur WhatsApp, Instagram, linkedin, facebook, connaître toutes les fonctionnalités de publication, c’est là que vous créez votre influence, faites-vous certifier PIX (KINT : certification numérique publique, voir : https://pix.fr/)
- Être patient: il faut lâcher prise, et dire que ça va arriver ! Au début, on est angoissé de ne pas avoir de trésorerie, ou de ne pas être capable d’avoir un flux récurent de clients qui nous assurerons un salaire tous les mois… Je vous garantis que si vous pariez sur ce que vous aimez, vous testez votre offre et vous la co-construisez avec vos clients, le récurent arrivera. Il faut être patient et se donner toutes les chances.
- Ne pas se dévaloriser: le risque est de se dire « je ne sais rien faire, je vais faire comme les start-ups et rebâtir une offre ex-nihilo. » Il faut s’appuyer sur ce que l’on sait faire. Avoir travaillé dans un moyen ou grand groupe forge des compétences… et c’est là que vous allez trouver l’argent pour vos missions, auprès de vos anciens collègues. Cette expérience de dirigeants permet souvent de connaître le CAC 40. Il faut garder son réseau.
- Du plaisir : faites ce que vous aimez faire, c’est là que vous êtes bon !